Denis Lévy
J’ai été directeur d’un bureau d’étude dans le béton armé, puis pendant quinze ans, j’ai ensuite dirigé la société LACOTEX (Texto). Pendant cette période j’ai ouvert plusieurs magasins de cette enseigne et, à l’âge de la retraite, j’ai vendu tout ça à Eram. À ce moment là, ma fille, qui est psychologue et travaille dans l’insertion, m’a dit : « Puisque tu as les moyens de le faire, tu devrais aider les jeunes ! » C’est comme ça que je suis entré à la mission locale d’abord, et au PLIE par la suite.
Avec le PLIE, je collabore sous une forme spéciale : comme je n’ai plus de société, je ne suis pas adhérent et je ne peux pas proposer d’autres services. Par contre j’ai quelque chose que peu de gens ont : je connais tous les critères d’un entretien d’embauche. J’ai même écrit un bouquin sur l’entretien d’embauche pour la mission locale. Donc au PLIE je ne m’occupe que des entretiens d’embauche, je prépare les personnes : je les reçois, je les fait parler, je leur apprends à s’asseoir, à ne pas tendre la main, à avoir une attitude souriante, je leur explique qu’on va leur poser des questions sur leurs défauts et leurs qualités, je leur apprends toutes les techniques indispensables, tous les détails qui font qu’une personne va sortir du lot parmi trente candidatures.
Parler de réinsertion à 50 ans, c’est un mot qui fait peur.
Dans ma jeunesse, trouver du travail c’était facile ! Aujourd’hui je rencontre des gens de 45 ou 50 ans à qui on parle de réinsertion, de retourner à l’école, de réapprendre un métier, ce sont des mots qui font peur ! Si on vous dit que demain, il va falloir vous insérer dans un autre milieu professionnel, il faut avoir envie de le faire et surtout il faut savoir le faire, ce n’est pas si simple que ça ! Et puis il y a beaucoup de discriminations, ça crée une drôle de mentalité.
Parce qu’aujourd’hui les gens qui réussissent s’enferment dans leur réussite et vivent entre eux. On peut dire que j’ai réussi, mais j’ai conservé des amis de milieux sociaux différents, cela ne m’a jamais posé problème. Alors que maintenant les gens ne sortent plus de leur milieu, et cela devient très difficile de se rencontrer ! Des gens comme moi qui vont au PLIE, c’est un peu une exception. Pourtant c’est extraordinaire, ce que ça m’apporte ! D’abord, ça me ramène un peu à la réalité, ça permet de garder les pieds sur terre. Et puis les rapports que j’ai avec ces personnes sont extraordinaires. A la fin des entretiens, quand les gens viennent vous remercier et vous dire ce que ça leur a apporté, c’est un moment dont vous êtes très fier ; vous n’avez rien gagné, mais ça vous apporte énormément. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de donner du travail aux gens, mais de leur expliquer qu’ils ont les capacités pour !
Souvent je leur demande de démarcher tous les magasins de la Rue de Rome, en prenant le risque d’être refusé ou rejeté, et je leur dis : « Si vous saviez combien de banques ont refusé de m’aider quand j’ai démarré mes affaires ! Mais je ne l’ai jamais pris pour moi ! Celui qui cherche du travail ou un financement n’est pas un voleur. Par contre, celui qui ne vous respecte pas est un idiot ». Une fois que j’ai dit ça, ils y vont avec un enthousiasme que vous n’imaginez pas ! Ils doivent faire la démarche eux-mêmes pour croire en eux.
Les dirigeants d’entreprises aussi doivent changer !
Il y a tellement de choses qui entrent en jeu pour réussir ou ne pas réussir sa vie que c’est difficile de donner toutes les clés. Quand je reçois les personnes, j’y vais sans a priori, je les prend comme elles sont, je ne porte aucun jugement ! La population du PLIE est complètement différente de celle du Pôle Emploi ou de la Mission Locale : ce sont pour la plupart des personnes qui n’ont pas ou très peu de formation. Ils ont subi des revers dans leur vie, et on y trouve beaucoup de femmes n’ayant jamais travaillé dans une entreprise. Dans leur grande majorité ce sont des personnes vraiment motivées pour travailler, elles ont une grande force morale, et grâce au PLIE elles sont bien préparées pour chercher un emploi ou une formation. L’intérêt de faire intervenir des personnes comme moi, réside notamment dans le fait que je suis un homme d’affaires et que j’assure cette fonction bénévolement. Du coup, la relation est très différente de celle qu’ils peuvent établir avec un accompagnateur professionnel. Quand je leur explique que j’étais un patron et que maintenant je ne suis là que pour eux ils se sentent valorisés, et je pense qu’ils changent aussi leur vision des chefs d’entreprise. D’ailleurs, je leur dit souvent : « Si je crois en vous, comment vous pouvez ne pas croire en vous ? ». Ceci dit, les cadres et les dirigeants d’entreprises aussi doivent changer !
S’ils acceptaient de donner un peu de leur temps pour rencontrer des gens en recherche d’emploi et les encourager, leur donner confiance en eux pour qu’ils puissent s’épanouir, partager un peu de leur expérience et surtout leur montrer que l’on peut dialoguer et échanger malgré nos différences, je suis certain qu’il y aurait encore plus de réussite pour le public en insertion.